2 juin 2014 Yohann

24h déconnecté – Journée en terre inconnue #2

Une journée en terre inconnue 24h déconnecté

Le concept est simple, nous proposons à l’un de nos amis de tester une journée de déconnexion totale : aucun écran, aucune connexion à internet que ce soit.

Pour nous faire part de ses impressions, de son ressenti, de ses anecdotes, ses outils sont : un appareil photo jetable (oui, ça existe encore !), un bloc note et un crayon.

Aujourd’hui notre cobaye déconnecté s’appelle Thibaud. Il a testé pour nous une journée en terre inconnue !

Profil de Thibaud

Bonjour, je m’appelle Thibaud. 24 ans. Je suis un grand enfant de la génération 90. J’ai vécu l’avènement d’Internet et des téléphones mobiles. Du coup, pas une seule journée sans que je n’ouvre mon ordinateur. Histoire de voir ce qu’il se passe sur le net et de pouvoir lire mes camarades sur les réseaux sociaux. C’est aussi l’occasion de préparer des événements que j’organise pour une association et de dévorer un peu plus de culture chaque jour. Je ne regarde quasiment plus la TV : tout se trouve sur Internet. Ma liste de favoris y est riche et longue. Difficile de s’ennuyer dans ces conditions..

Son récit

Avant de commencer cette journée sans numérique, je me suis fait plusieurs réflexions.

La première a été de rendre inoffensive une telle journée. Combien de fois suis-je parti en voyage sans téléphone, pendant près de trois semaines sans regarder un brun de TV ou même croiser du regard un écran d’ordinateur. Autrement dit, j’allais vivre cette journée avec le plus grand plaisir.

D’un autre côté, j’ai eu l’appréhension du dimanche à vivre, assez seul finalement. J’ai aussi tendance à toujours vouloir trouver une explication aux choses, définir un mot ou trouver la localisation d’un autre grâce à Internet. Comment allais-je pouvoir passer ma journée à m’occuper sans m’ennuyer ? L’ennui. Un mot sur lequel je vais articuler mon récit. Et vous allez voir, il prendra tout son sens.

Tout a commencé la veille en fait. J’ai délibérément préparé le terrain. J’ai fermé l’écran de mon ordinateur. J’ai éteins mon portable, caché à l’abri du regard. J’ai aussi voulu ne pas mettre mon réveil. Des choses que je ne fais pourtant jamais. Mon âme d’aventurier anthropologue a voulu me tester, je crois bien.

Mes yeux s’ouvrent. Il est écrit 9 h sur le réveil matin. Le soleil traverse les lamelles du store et vient m’aveugler pour me dissuader de me rendormir.

thé jardinL’eau de la douche est froide. L’eau du thé est chaude comme il faut. Le rituel matinal se fait en douceur. Je suis seul dans la cuisine. Comme tous les matins. Je décide de finir mon thé dans le jardin. Il fait particulièrement beau.

houmousJe décide de préparer un houmous pour le déjeuner. Des pois chiches, de la pâte de sésame, un peu de yaourt, de l’huile d’olive, de l’ail, du cumin, du sel et du poivre. Au rythme du mixeur, la préparation sera vite faite. Il est pourtant déjà 11 h à l’horloge.

livres jardinJe discute un moment avec ma mère sur la terrasse du jardin. L’occasion de s’apercevoir qu’elle est vraiment sale (la terrasse !). Quelques coups de balai plus tard, je sors de quoi lire assis sur ce travail bien fait. Des lectures que je n’ai jamais pris le temps de finir. Une journée sans numérique a du bon.

Le repas et les convives arrivent. Il est 12 h.

16 h au réveil matin. Je me suis endormi dans ma chambre sur un livre de H P Lovecraft. Le soleil et sa chaleur m’accablent particulièrement aujourd’hui. La torpeur que j’ai combattue ce matin m’a terrassé avant que je m’en aperçoive.

L’ennui. Alors que le temps est passé sans bruit depuis ce matin, je commence à voir le bout d’une journée sans numérique. Je n’ai plus envie de lire. Je n’ai rien d’autre à faire. Je sors.

Sur le chemin, je me pose une question. J’ai beaucoup lu depuis ce matin. Si je devais continuer à ne pas avoir internet, ni TV, ni téléphone, je pense que je lirai énormément. C’est quand même un comble de se débarrasser d’une dépendance pour en trouver une autre. Alors quoi ? Vaut-il mieux lire toute la journée ou rester connecter ? Quelle toxine faut-il mieux ingérer ? Paracelse écrivait : « Tout est poison, rien n’est poison : tout est affaire de dosage ». Alors si cette journée de détoxification peut avoir un effet positif, je la crois tout aussi nuisible à mon quotidien. Bien sûr, cette journée a été faite, en mon âme et conscience pour que je m’aperçoive de ma dépendance aux objets numériques. Seulement, avant même de commencer cette journée, je connaissais la réponse. Je ne suis pas accro, mais je m’enivre volontiers des plaisirs que ces objets me donnent.

FIBJe suis sorti sans une montre au poignet. J’espère ne pas perdre la notion du temps. Sur le chemin, une affiche me rappelle que la Foire Internationale va commencer. J’y participerai alors je prends une photo, en témoignage.

J’arrive au Parc Bordelais. Je regarde, ironiquement, la plaque des horaires d’ouverture et de fermeture à son entrée. Elle ne me sera d’aucune utilité aujourd’hui. Aussitôt passée la porte, je comprends que c’est la première fois que je viens dans ce parc un dimanche. C’est même la première fois que je fais ce chemin à rebours et à pieds. Tous les jours je passe devant en bus sans m’y arrêter pour rentrer chez moi. Et pour les très nombreuses nuits où je suis revenu à pieds de la ville, il n’était jamais ouvert.

Je ne m’attendais pas à voir autant de monde. Les familles des environs ont décidé de profiter de ce soleil écrasant pour s’abriter sous un arbre en bonne compagnie ou faire un brin de sport. Dans ce parc, assis sur un banc, seul, je pourrai croire que je suis une anomalie, mais en prêtant un regard aux pelouses, je m’aperçois bien vite que certaines personnes s’isolent au milieu de rien. Comme si une barrière invisible pouvait les mettre à l’écart. C’est amusant de regarder les gens passer. Je comprends Parc bordelaismieux comment certains arrivent à rester des heures comme cela. Vous ne voyez jamais les mêmes visages, jamais les mêmes comportements, comme un diaporama infini. Il y a là des générations qui se côtoient. Presque des mondes différents, avec des schémas différents et leurs rapports de force. Un père et sa fille qui se courent après, un grand-père et son vieux fils s’accompagnant dans le silence sans se regarder, une mère et son jeune enfant en poussette. L’un pousse, l’autre subit, le regard perdu. Vice-et-versa.

Derrière mes lunettes de soleil, je regarde sans être vu. Du moins, c’est ce que je crois sur l’instant, avant de réaliser que d’autres font surement la même chose, en pensant la même chose que moi. Une belle mise en abîme.

Des vélos, des poussettes, des karts, des skateboards… Je ne suis qu’un roux parmi tant d’autres au final dans ce parc. Mais au contraire de ces passants, assis sur mon banc, je suis un roux esseulé qui ne peut s’empêcher de comparer son existence à celle d’autrui. Et je me trouve bien triste tout d’un coup. Un vieux monsieur, la démarche mal assurée vient de s’assoir sur un autre banc à côté de moi. L’effet miroir me donne encore plus le cafard.

J’en ai vu des choses de mon banc. Je n’échange pas et pourtant je comprends ce que je vois. Et rien ne me serait saisi sans la présence de ces gens qui s’ignorent par intérêt. Ou désintérêt. Je comprends ces moments de bravoures, de découvertes, de lassitude, de recherche, etc. Tous ces petits riens que je scrute depuis un moment sont là des moments qu’on aurait tendance à oublier assis devant un écran de PC ou le nez plongé dans un livre. C’est pourtant bien ces liens sociaux qui font la survivance du monde humain. Et dans ce vivier bruyant, rares sont ceux à avoir un téléphone à la main au final.

Quand je réalise que ça fait trop longtemps que je suis là, je me lève pour laisser ce banc tout seul et suivre la file des familles qui circulent. Aussi absurde que cela puisse être, je me promène maintenant dans une allée vide au milieu du parc. J’immortalise l’instant. Un dernier coup d’œil et me voilà à passer la grille. À mi-chemin du retour, je préfère prendre le bus qui me ramènera plus vite. En validant ma carte de transport, la machine m’indique qu’il est 19 h. Je lève la tête et réalise que toutes les personnes autour de moi ont un téléphone à la main. Je suis bien de retour dans mon monde.

La fin de la journée aura été courte et frustrante. Je lis un dernier passage de mon livre et m’endors. Je n’ai rien d’autre à faire.

C’était l’expérience d’une journée sans numérique. Seul au milieu des autres. Je ne suis pas sûr de vouloir revivre ça. Du moins, pas de cette manière. L’idée de vivre ça à deux aurait été plus douce. Et je n’aurai pas passé mon temps à regarder ma solitude dans les yeux. Elle a été bavarde à sa manière, mais sa présence, non désirée.

Cette journée qui se voulait en réaction à une vie connectée, je l’ai passé déconnecté. Des autres et de moi-même. Triste constat qui me fait dire qu’aujourd’hui, je suis incapable de vivre sans le numérique, de la même manière que je suis incapable de vivre seul, sans interactions.

Alors même si devant un ordinateur, je suis bien tout aussi seul physiquement, je peux malgré tout interagir virtuellement. Comme je l’ai dit tout au long de cet article, voyez plutôt le numérique comme ce qu’il est : un outil. Ne le voyez pas comme un besoin, mais comme un moyen.

Ne passez pas votre temps dessus à en oublier votre intégrité, utilisez-le plutôt pour renforcer vos liens sociaux. L’ennui avec le numérique, c’est qu’il a pris un statut tellement important dans notre monde que son absence nous ennuie. Si vous n’avez pas prévu une journée bien remplie du matin jusqu’au soir, je ne vous souhaite pas de vivre ce que j’ai vécu. Une Détox Digitale c’est bien, mais c’est comme un bon sandwich : évitez de trop en mettre où ça n’aura le goût de rien.

Vous avez fini cet article. Allez plutôt vous ennuyer ailleurs.

Vous vous reconnaissez dans le récit de Thibaud ? N’hésitez pas à tester aussi votre dépendance !
Merci encore à lui et rendez-vous au prochain épisode !

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